Une centaine donc, de quinze à vingt-cinq ans, que sont-ils devenus? Combien se sont finalement suicidés? Combien ne sont jamais vraiment parvenus à surmonter leur mal et l’injustice que cela représentait? Combien sont désormais « intégrés »?
Il y avait Jean-Yves tout d’abord, nous avions à peu près le même âge, il était de Bellechasse, suivi par Mme Lamour (quel nom pour une psy!). Je ne me souviens pas de notre première rencontre mais très vite il venait me voir tous les jours et parvenait ainsi à me sortir du lit. Pourquoi moi? Je n’en sais rien, en tout cas il m’aimait bien. Il zozotait, c’était amusant, surtout parce qu’il parlait beaucoup, était hypocondriaque et toujours angoissé par ceci ou cela. Il avait pourtant également du recul sur tout cela et en souriait parfois. Grand, brun et assez pâle, sympathique. Les filles étaient son grand sujet de conversation mais la littérature aussi car il lisait beaucoup. Son plus grand traumatisme avait été je pense la perte de sa mère, d’un cancer. Il en gardait une haine profonde et ravageuse envers les médecins qui pour lui étaient responsables. Je pense que son hypocondrie venait en partie de là. Il prenait lui aussi beaucoup de médicaments ce qui n’arrangeait pas son bégaiement. Je sortais du lit pour le suivre, surtout par gentillesse au début car je ne suis pas quelqu’un qui dit facilement non, mais il est certain que cela m’a beaucoup aidé. Nous allions surtout aux terrasses des cafés et la discussion commençait. il me demandait souvent mon avis, mon conseil, il semblait que ses pensées avaient toujours besoin d’être validées par un autre, et dans cette période précise ce fut moi.
Aurélia avait 19 ans. Un jour que j’étais de visite dans je ne sais quel autre chambre d’un autre pavillon, je me suis retrouvé seul avec elle et je l’ai embrassée, c’était la première fois que je la voyais. Elle est donc devenue ma petite amie. Nous nous rendions visite d’un pavillon à l’autre. C’était une relation affective plus qu’un amour comme on l’entend habituellement, mais nous nous entendions bien et pouvions nous raconter nos malheurs. Je me souviens d’une fois où nous nous sommes retrouvés dans sa chambre chez son père à Paris, tout nus et pourtant sans envie de faire quoi que ce soit de sexuel. Je garde un souvenir très tendre de tout cela, après ma passion orageuse, je pense que cette situation me convenait tout à fait. De plus on aurait dit une petite fille. Elle était formée comme une femme, avec un très joli corps d’ailleurs mais il y avait sans aucun doute de la régression dans son comportement. Sa voix avait quelque chose d’infantile, son allure aussi et sa démarche rigolote, je la revois encore souriante dans son duffle-coat et j’en souris encore. Elle avait fait hypokhâgne je crois avant de chuter et était une grande fan d’Albert Cohen. Elle avait tout lu de lui. Il y avait chez elle aussi un traumatisme prégnant, un garçon, sa première histoire d’amour à elle aussi. Apparemment il s’était moqué d’elle et elle ne s’en était pas remise. Il faut dire que lorsque l’on a nourri ses rêves à Belle du seigneur, il est sans doute difficile de faire avec la réalité de ceux qui n’auront jamais ce genre de lecture. L’anafranyl aidant je rentrais dans des phases de désinhibition, et il m’arrivait de traîner dans des chambres qui n’étaient pas la sienne, mais elle ne m’en voulait pas, elle était mon officielle.
Notre relation s’est finalement interrompue lorsqu’ils m’ont envoyé à l’HP mais je me souviens l’avoir revue plusieurs fois, je me souviens l’avoir visitée plus tard, alors qu’elle était dans un autre établissement spécialisé dans Paris, cela lui avait fait plaisir, puis un autre fois quelques années plus tard près de la fac de Censier. Elle n’avait pas vraiment changée.
J’ai récemment trouvé une trace d’elle sur internet où lui étaient attribué les costumes d’une pièce de théâtre, cela m’a fait très plaisir. J’espère qu’elle va bien et qu’elle est très heureuse.
Jérome était un cas à part, il était arrivé à mon étage vers la fin, il n’était pas souvent là, et cela semblait plus du dortoir ce lieu pour lui qu’autre chose. Mais un jour, un samedi, alors que je n’avais évidemment rien à faire, je l’ai suivi dans le parc pour fumer un join. J’avais un peu fumé avant, pas à la clinique mais avant, surtout à la campagne d’ailleurs, avec des amis. Je savais ce que c’était d’être défoncé. Je me souviens très bien de la scène, nous étions tous les deux sur le banc, il avait roulé, nous commencions à fumer. Je me souviens très bien de la seconde où j’ai pensé que je n’étais pas défoncé et de la suivante où j’ai compris que je l’étais comme jamais. Et c’était trop bon…
Très défoncés tout les deux nous avons décidé d’aller au cinéma. A Paris. Nous avons dû prendre le train. Je n’ai rien compris au film et lui a dormi toute la séance. C’était Dead Again film de Kenneth Branagh sur la réincarnation… C’est un film pour défoncés en fait, mais pas trop.
Et c’est Jérôme que j’ai revu ensuite, après. Je pense que c’est lui qui m’a recontacté et je suis devenu son ami.
Que dire de Jérome?
Il avait à peu près mon âge, il vivait de la CoToRep et de ses parents. Le père était homme d’affaire et la mère artiste peintre.
Il avait déjà fait plusieurs tentatives de suicide et un délire mystique, il avait de la difficulté à en parler, mais ce souvenir lui semblait merveilleux.
J’ai vu Jérome dans de sales états. Je me souviens d’un jour où il était en clinique après une tentative de suicide. Il était sur le lit, attaché je crois, la bouche noire à cause du charbon, et il était visiblement pas très clair. Jérome a vécu lui aussi de sacrées choses (je dis lui aussi, car je prépare). J’ai de multiples souvenirs avec Jérôme. Je me souviens d’une fois, plus tard, où Jérome allait mieux mais c’était sa soeur plus jeune qui avait fait une tentative de suicide, je me souviens que nous nous sommes retrouvés à un moment elle avec moi, à ce moment là. Je me souviens lui avoir alors dit des choses qui l’ont marquée.
Mais Jérome était plutôt de nature gaie, il était suicidaire mais jugulait sa dépression avec l’alcool et les joins. Je me souviens de la première fois que j’ai vu ses parents.
Nous étions encore à la clinique je pense mais nous avions dû décider d’aller jusqu’à Montrouge où ils habitaient. Jérome habitait au premier étage d’un immeuble, dans un studio.
Nous voici allongés défoncés sur le lit, tout allait bien. Tout à coup, un type débarque, son père, et l’engueule, je reste sur le lit. « Vous avez fumé en plus » lui dit l’autre. Après un moment il repart en colère. Moi resté sur le lit, un peu surpris, je me marre plus qu’autre chose, incident sans intérêt semble dire Jérome. Mais quelques minutes plus tard c’est la mère qui débarque. Saoule. « Oui vous avez fumé, je peux fumer avec vous etc. », la libérale, et saoule.
Quelle entrée en matière!
Ils habitaient en réalité au cinquième étage du même immeuble.
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Je suis d'accord avec Teenaville, ton histoire pourait apporter beaucoup aux malades, et leur permettrait de comprendre et surtout de voir qu'ils ne sont pas seuls à vivre leur maladies...
Bonne continuation à toi.