J’ai été transféré à Maison Blanche sans m’en apercevoir. Le premier souvenir que j’en ai date de mon réveil, dans une chambre très claire et de l’entrée de plusieurs hommes dans ma chambre. Certains étaient là encore une fois pour m’agresser, m’immobiliser au cas où. Je me souviens encore de leurs regards. En un instant j’ai glissé sous le lit pour qu’ils ne puissent pas m’attraper. Après parlementations je me suis réinstallé dessus. Plusieurs me posaient des questions me semble-t-il, je ne leur répondais que par des mots: points de capiton, forclusion, et je ne sais quoi encore: des termes Lacaniens. « C’est du Lacan! » m’a dit alors l’un deux. Il était jeune, un médecin, c’est lui qui m’a pris en charge.
Souvent lorsque aujourd’hui je rencontre d’autres psychiatres ils me demandent dans quel bâtiment j’étais, à Maison Blanche donc. Je ne m’en souviens pas, cela me paraissait sans importance. Tout ce dont je me souviens c’est qu’il ne semblait pas y avoir de patients chroniques, j’appelle patients chroniques, de pauvres malheureux qui traînent enfermés depuis des années. Tout était en carré autour d’un patio, lui-même carré. Ce n’était pas spécialement désagréable.
Le médecin m’a donné du Prozac. Je suis remonté tout de suite. Enfin c’est ce que l’on m’a raconté, il parait que je me suis notamment déshabillé devant tout le monde. J’ai été remis en isolement, je me souviens d’une scène dans cette chambre où deux infirmières me parlaient et essayaient de me faire manger. Puis il y a eu quelques jours étranges. Redevenu nu, j’essayais de plonger dans mon pot de chambre que j’avais posé sur le lit. Je passais aussi la serpillière, enfin, mon pyjama, avec mes excréments tout autour du lit. J’arrivais aussi à m’asseoir sur le bord très étroit de la fenêtre. Plusieurs jours plus tard un infirmier m’a ouvert et fait faire un tour dans les locaux. Je marchais devant, lui derrière, à me surveiller. Ensuite j’allais mieux et je passais presque toutes mes journées à marcher dans le parc. Il y avait à l’époque un grand bâtiment pour l’art thérapie, j’y pénétrais parfois.
Je suis resté un peu plus de deux mois, toutes les vacances scolaires, j’étais pourtant suffisamment rétabli bien avant, mais au mois d’août le jeune médecin était parti en vacances, aucun autre ne voulait prendre la décision de me laisser partir, ils attendaient son retour. Je commençais sérieusement à m’inquiéter, je voulais au moins reprendre mon travail, l’école, début septembre. Les jours avançaient et s’en approchaient. Mon père était prêt à user de son droit de faire lever l’hospitalisation, hospitalisation d’un tiers, lui étant le tiers. Le médecin a fini par rentrer, je l’ai vu et je suis sorti le 31 août. Le lendemain je reprenais l’école, ce ne fut pas facile mais j’y suis parvenu.
Je considère cela absolument scandaleux, je restais réellement enfermé parce qu’il était parti en vacances, j’aurais pu sortir plusieurs semaines plus tôt et mieux me préparer pour la rentrée.
J’ai écrit un peu de « poésie » ensuite, je ne sais plus quand, sur cette période:
Souvent ici il n’y a pas d’air mais au loin on peut apercevoir les arbres libres. Ceux d’ici leur ressemblent mais ils se dressent sur du désespoir. Un avion passe, un téléphone sonne. Est-ce pour vous? On pense à ses paires, on se dit que l’on sortira, bientôt peut-être, quand le téléphone sonnera de nouveau. Dans l’isolement on a cru saisir une phrase: « Ca y est, je ne suis plus infirmière psy ». Et oui, et si cela était tiré au sort… Alors on regarde sous la porte ou par la meurtrière si les clefs ne sont pas en train d’arriver. On se dit que l’on deviendra homme de ménage pour récupérer les clefs. Dehors on entend une scène de chasse en Bavière le jour, et les cerbères aboyer la nuit. Ici ce n’est pas Washington mais c’est bien Maison Blanche. En sortant, on se dira que Dali avait raison ou plutôt on aura oublié et il se pourra que les montres ne coulent plus.
Episode confuso-délirant, voilà comment ce fut appelé par le jeune médecin. En fait il s’agissait soit d’une décompensation causée par mes chaotiques séances d’analyse soit de mon premier épisode maniaque. J’ai revu le psychanalyste une seule fois après cela, il m’a dit qu’il valait mieux arrêter pour le moment. Je suis donc retourné voir le psychiatre de mes débuts et il m’a fait commencer le lithium, j’avais désormais 24 ans.
Je n’ai pas grand chose à raconter concernant les trois années qui ont suivi, j’ai continué l’école et j’ai arrêté la fac, enfin je n’y suis pas retourné. Mon journal aussi s’est arrêté, je ne le pris que quelques rares fois au long de ses années. Mon père est décédé, en 1996, et j’ai déménagé deux fois.
La vie devait être très monotone.
Fin 97, j’ai décidé de partir à Londres: c’est la chose la plus intelligente que j’ai faite de toute ma vie. J’avais 27 ans.
God save the Queen.
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