L’année de fac Très vite je ne suis plus allé aux travaux dirigés, seul celui de psychologie générale a survécu, c’était mi-philo mi psycho, car dirigé par une femme philosophe, d’abord, et psychanalyste de surcroit. Je pense qu’elle se souvient de moi, j’étais presque le seul à la suivre sur son domaine et ça lui plaisait; j’ai présenté un jour un travail sur la mémoire, d’après Funes ou la mémoire de Borges. (Borges est plus important que l’on croit, notamment pour les psy). C’était amusant de présenter cela à cette petite assemblée; elle m’avait mis 18, je suppose que c’était réussi. Ah si, j’allais aussi aux T. D. de Joël Dor, ses cours en amphis étaient les plus prisés. Il passait son temps à fumer des cigarettes et expliquait la psychanalyse comme s’il s’était agi de mathématiques et démonstrations. J’aimais ça. A fond dedans il était, comme dans une science cartésienne et empirique. Lacanien comme aucun autre des professeurs, il entretenait une allure forte, mais sombre et sans espoir. Le tabac a dû tout simplement finir le travail commencé car je sais qu’il est décédé depuis. Il considérait la voie Lacanienne de l’existence de structures comme un fait, et parlait ensuite des hystériques ou des pervers comme s’il s’était agi de groupes autonomes possédant certaines caractéristiques: par exemple, « l’hystérique ne sait pas faire un choix ».
Je parlais très peu aux autres, je me souviens de quelques filles, c’était d’ailleurs très féminin. J’allais aux amphis en principe. Tout n’était pas intéressant, loin de là, il y avait des trucs où je n’allais jamais, Psychométrie par exemple, et Questions professionnelles. En fait je me suis vite rendu compte qu’il fallait aller aux T.D. car ils comptaient de moitié dans l’obtention de chaque module. Je ne pouvais donc de toutes façons pas les décrocher mais je continuais à aller régulièrement dans les amphis, et ce toute l’année.
C’est évidemment la psychanalyse qui est intéressante dans tout cela, il faut défendre Freud, il était brillant. Beaucoup de choses sont importantes chez lui. Il a mis le doigt sur beaucoup de vérités, mais a surtout su trouver des mots pour les décrire. Je suis d’accord avec lui sur la mélancolie en tant que perte du moi, deuil du Moi en quelque sorte, car oui, le mélancolique c’est le Moi qu’il a perdu. Lacan c’est plus amusant et plus compliqué, c’est là que l’on rentre dans une tentative de mathématisation de la psychanalyse. Avez-vous déjà vu ses dessins et formules semblables à de la mathématique? Comme des équations mathématiques. Je ne m’y suis pourtant pas plus penché que cela, j’en ai le regret car la topologie dont il s’inspire beaucoup était ma matière préférée des mathématiques, je me souviens que c’était le premier trimestre en Sup, j’étais second à ce moment là. J’ai toujours aimé les mathématiques, c’est un autre univers et pourtant c’est cet univers, avec même un autre langage, fait de symboles mystérieux avant qu’ils ne vous soient révélés.
Il y avait l’école primaire aussi. Les enfants sont pleins de lumières et j’en recevais beaucoup. Merci à eux. En plus au début, avec la nouveauté dirons-nous, ils m’adoraient. Dire qu’ils sont adultes désormais, comme cela est étrange, ils seront toujours enfants pour moi. Il serait pourtant amusant de voir ce que la vie a fait d’eux, et pour les plus chanceux, ce qu’ils ont fait de la vie. Cela me ferait très plaisir d’en revoir certains. Tout se passait bien à ce niveau- là donc. La directrice me faisait grande confiance et me faisais parfois même faire la classe lorsqu’une de ses instits était absente. Souvent après le repas de midi, j’allais passer le temps au cinéma Wepler ou dans les friperies autour de la place Clichy en attendant de reprendre l’étude du soir.
Parfois je voyais mes amis, quatre ou cinq surtout. J’allais souvent nager. Et je faisais de la photographie: je chassais à travers Paris toutes ses oeuvres éphémères qui l’embelissent. Mesnager, Nemo et Misstic notamment.
C’est cette année-là que j’ai commencé à tenir un journal intime. En plus des carnets. Souffrances quotidiennes surtout : le mélancolique était devenu dépressif chronique et s’en satisfaisait peu. Mais écrire m’a aidé. Une façon d’observer la pensée et d’en faire quelque chose. J’ai vite eu envie de retourner en analyse. Cela me paraissait une voie possible, pour m’écarter de mes maux et peut-être enfin les comprendre: le mathématicien voulant des raisons et des processus.
Le premier rendez vous date de janvier.
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