Je suis parti à Montréal comme j’étais parti pour Londres, avec un gros sac et un peu d’argent. Cette fois-ci c’est à l’auberge de jeunesse que j’avais décidé d’atterrir. C’était au moment des élections en France, donc avril 2002. Les dernières années à Londres j’avais petit à petit monté un dossier pour obtenir un visa permanent Canadien. Le fait d’être bilingue et d’avoir déjà pu migrer et travailler dans un autre pays que mon pays d’origine me donnaient pas mal de chances, au bout d’une longue procédure je l’ai effectivement obtenu. En 96, j’avais déjà passé deux très agréables semaines au Québec, j’avais très envie d’essayer d’y vivre. Montréal est une ville très agréable et c’est vrai que son plateau est comme un village. C’est là justement que j’ai trouvé un logement, avenue des Érables pour ceux qui connaissent. Un trois pièces partagé avec une jeune fille, Marie-Claude, elle avait alors 20 ans je crois, dans un petit immeuble, machine à laver au sous -sol. J’ai commencé à travailler en septembre, dans un grand collège privé très réputé. Je m’occupais des treize quatorze ans, que j’encadrais, surveillais et avais une heure en étude dirigée, heure pendant laquelle ils faisaient leurs devoirs aidés par deux étudiants en cas de difficulté. Le directeur était ecclésiastique, mais la religion n’intervenait en rien dans l’éducation. Ils y avait trois sous-directeurs, deux hommes et une femme et j’étais sous la responsabilité de l’un deux. Il était très sympathique et mériterait que je mentionne son nom. C’était sa dernière année, il était critiqué par les profs mais je trouve qu’il tenait tout à fait bien son rôle. Je portais le titre d’éducateur, nous étions deux éducateurs par niveau. Il y avait aussi un certain Pastrèsclair, responsable quant à lui des absences. Souvent nous suivions ses instructions, mais en aucun cas il était censé être mon supérieur.
Pendant longtemps tout se passa très bien, les élèves étaient formidables. Cela me changeait, je n’avais jusque-là connu que des primaires. Le parc Lafontaine était tout près de chez moi, c’est un très beau parc urbain et en hiver il est tout simplement magnifique, son plan d’eau devient patinoire et la neige décide de tout le reste. Il y a beaucoup d’écureuils dans ce parc, des écureuils gris comme ceux de Londres. Il y a un climat différent dans cette ville de ce que l’on peut trouver en France et il y plane un air de bien-être peu commun. Dans la rue les gens sont tout à fait cordiaux, et leur tutoiement fort agréable. J’ai rencontré un couple un soir dans le parc, soir où avec Marie-Claude nous avions bu un peu et étions sortis en profiter. Je les ai rencontrés dans le noir, c’était amusant. Lui est devenu mon ami. Ils se sont séparés par la suite. Saïd était chercheur à l’université, spécialiste du cerveau, principalement la mémoire et les drogues, il est ensuite venu vivre tout près de chez moi et ce fut très pratique. J’ai acheté un ordinateur et j’ai pu travailler à un second roman. Je me suis mis à peindre aussi, Marie-Claude a finalement déménagé et sa chambre est devenue mon atelier. Peindre me procurait beaucoup de plaisir, j’utilisais surtout des gels acryliques pour des œuvres où la Nature, que l’on sent là-bas si forte, et la lumière, la lumière d’hiver à Montréal lorsque le soleil éclaire la neige, avaient une influence prégnante. Saïd appréciait beaucoup mon travail. Chaque œuvre finissait empaquetée soigneusement en vue d’une exposition à venir. Je participais aussi à une émission sur une radio locale. C’est par hasard que j’avais croisé l’animateur et qu’il m’avait demandé de venir présenter la scène française alternative dans son émission. Je me suis toujours intéressé à la musique sans finalement jamais en faire. Je suis beaucoup allé en concert, dans des petites salles parisiennes : Elysée Montmartre, Divan du monde et Arapaho. Mais aussi à Londres. Nous enregistrions tous les dimanches après-midi. Je me souviens avoir interviewé Vincent Delerm. J’étais plutôt heureux d’être là-bas, j’avais pris un rat pour compagnon, Arthur, et je le laissais libre dans l’appartement, mais c’est au dessus du frigo où il trônait qu’il passait le plus clair de son temps. Je ne sais plus quand l’incident est arrivé mais je ne l’ai pas vu venir. Je pense que c’était en février. Le responsable des 17 ans à l’école est parti, pour un autre travail je crois, et ils m’ont proposé de le remplacer. J’étais très attaché aux miens, je n’avais pas envie de les quitter et nous avons trouvé un arrangement pour que je puisse m’occuper des deux tranches d’age en même temps. J’avais ainsi toujours les plus jeunes aux heures du repas et en études, où je les aidais moi aussi à faire leurs devoirs : la surveillance seule était bien ennuyeuse et avec l’accord enthousiaste de mon supérieur, je m’additionnais aux aides aux devoirs, mon niveau scolaire me le permettant. Tout ceci a agacé Pastrèsclair sans que je m’en aperçoive : la confiance que nos supérieurs m’accordaient mais aussi ma relation avec les élèves, qui était très bonne. Un jour, au moment de l’étude il m’a coincé dans une pièce du fond et a commencé à me crier violemment dessus. Il s’est aussi mis devant la porte pour m’en barrer le passage. Certains élèves assistaient à la scène, la porte étant vitrée. Nous nous sommes finalement rendus dans le bureau de notre supérieur direct qui me donna raison. Mais je ne voulus pas en rester là. A ma demande j’eu un entretien avec le principal directeur. Je voulais qu’il soit clairement signifié à Pastrèsclair que s’il recommençait ce genre de choses ce serait le renvoi. J’étais très tendu par tout cela et je devais continuer à travailler avec lui comme si de rien n’était. Je n’ai pas eu de réponse satisfaisante et j’ai décidé de démissionner. Je pensais avoir tout à fait raison de le faire.
Raison ou tort d’avoir pris cette décision un peu précipitée, je ne me pose plus cette question, cette agression a tout détruit autour de moi, toutes ces années de lutte pour me réintégrer à la société, et tenter d’y vivre heureux. Il y a des événements de vie qui sont pour la plupart des gens surmontables, mais pour le bipolaire, chaque événement douloureux peut le conduire au cauchemar. Comme s’il avait dépassé depuis longtemps sa tolérance au chagrin.
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je dois arrêter ici pour aujourd'hui ma lecture de ces narrations qui font tant d'échos en moi, bravo et félicitations pour cette aisance à passionner, partager, embellir aussi, hélas, la bipolarité. Mais je crois que c'est la première fois que je lis un tel témoignage, j' ai hâte de reprendre où j'en suis. Merci
"Raison ou tort d’avoir pris cette décision un peu précipitée, je ne me pose plus cette question, cette agression a tout détruit autour de moi, toutes ces années de lutte pour me réintégrer à la société, et tenter d’y vivre heureux. Il y a des événements de vie qui sont pour la plupart des gens surmontables, mais pour le bipolaire, chaque événement douloureux peut le conduire au cauchemar. Comme s’il avait dépassé depuis longtemps sa tolérance au chagrin." Très bien décrit.
Bonsoir,
Tes récits sont toujours aussi palpitants, et avec tellement d'écho dans certains épisodes que du décrit
Continue c'est super
Je t'embrasse
ELIANE